Réhabiter signifie devenir originaire d’un lieu, devenir conscient des relations écologiques particulières qui opèrent au sein de ce milieu et autour de lui. Cela signifie entreprendre des activités et faire naître des comportements sociaux capables d’enrichir la vie de cet endroit, de restaurer ses systèmes d’accueil de la vie, et d’y établir un mode d’existence écologiquement et socialement durable.
Le village, la ruine et la forêt 03 202403 2024 | Le village, la ruine et la forêt —Dans le sillage des arts décoratifs, qui ont toujours été des arts de vivre et d’habiter, nous prenons le parti d’axer la résidence sur les notions de milieu de vie et d’habitat, en invitant artistes et designers à explorer les écosystèmes locaux dans le sens d’une pratique située, tout en ayant conscience de la longue histoire des rapports polarisés de la ville à la campagne : la campagne projetée par la ville n’est pas un pays qu’on habite, elle est une terre qu’on exploite ou une aménité dont on jouit (alimentation pour la population, matières premières et main d’œuvre pour l’industrie, air pur pour le corps et l’esprit).
À être conçue sur deux années, la direction artistique a l’avantage de donner le temps et, avec lui, la possibilité non seulement de résider mais aussi, au moins tendanciellement, d’habiter. Après une première résidence-exposition qui s’est attachée à révéler le potentiel du lieu à partir de ses ressources, cette nouvelle édition aimerait esquisser un modèle écocentré de la résidence artistique en milieu rural, au service à la fois du territoire et plus largement d’une reconfiguration du rapport de la culture à la nature, et de la ville à la campagne. Elle articulera trois types de lieux qui ont retenu l’attention des artistes et designers et se révèlent porteurs d’un grand potentiel imaginaire et narratif : le village, la ruine et la forêt. Elle se nourrira de la pensée de la réhabitation, née dans la Californie des années 1970, qui se révèle particulièrement accordée à l’urgence écologique de notre temps.
Coup d’œil créateurW. F. Schlegel06 0506 05 | Coup d’œil créateur — W. F. SchlegelL’homme est un coup d’œil créateur de la nature se retournant sur elle-même.
A. W. Schlegel, Idées
PaysanJean Giono06 0506 05 | Paysan — Jean Giono« Ce travail que largement, en gros, on peut appeler paysan, c’est-à-dire de collaboration avec la nature (et l’artisanat est un travail paysan) »
Jean Giono, Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix
Réhabiter la CaliforniePeter Berg, Raymond Dasmann, Mathias Rollot01 0401 04 | Réhabiter la Californie — Peter Berg, Raymond Dasmann, Mathias RollotSa rivière coule déjà dans les canalisations de Los Angeles [...].
Réhabiter la CaliforniePeter Berg, Raymond Dasmann, Mathias Rollot01 0401 04 | Réhabiter la Californie — Peter Berg, Raymond Dasmann, Mathias RollotEntre les êtres vivants et les facteurs qui les influencent, il existe toutefois une résonance particulière, spécifique à chaque endroit de la planète. Découvrir et relever cette résonance est un moyen de décrire une biorégion. [...] Au sein de la biorégion se trouve un bassin-versant majeur [...] lire les différents systèmes hydrologiques aide à définir et caractériser la vie d’une même biorégion, de même que les caractéristiques des bassins-versants font apparaître les nécessités que ceux qui voudraient vivre in situ doivent s’employer à reconnaître. Les bassins-versants naturels pourraient être reconnus comme les éléments autour desquels les communautés s’organisent en premier lieu. Le réseau des sources, des ruisseaux et des rivières s’écoulant dans une zone spécifique exerce une influence de premier ordre sur toute vie non humaine à un endroit donné ; c’est l’empreinte la plus fondamentale de toute vie locale.
La promenade à la campagneHolderlin11 0211 02 | La promenade à la campagne — Holderlin« Car ce n’est pas affaire de puissance, mais de vie, Notre désir : joie et convenance à la fois. »
Le souci de la terreCicéron, Les Tusculanes28 0128 01 | Le souci de la terre — Cicéron, Les Tusculanes« Un champ, si fertile soit-il, ne peut être productif sans culture – sine cultura –, et c’est la même chôse pour l’âme sans enseignement – sine doctrina. »
Quelque chose ici va venirEmmanuel Tibloux08 0108 01 | Quelque chose ici va venir — Emmanuel TiblouxInterrogé en 1961 par le producteur et réalisateur de la série « L’Art et les hommes » Jean-Marie Drot, le sculpteur Ossip Zadkine, qui avait découvert les Arques en 1934, eut cette réflexion mystérieuse et prémonitoire : « J’aime ce village quoiqu’il se meure, mais quelque chose ici va venir, je ne sais pas quoi, bien sûr pas du pétrole, quelque chose de différent, mais quelque chose viendra… ».
Près de 90 ans après l’arrivée de Zadkine aux Arques et 35 ans après la création des Ateliers, je propose de repartir de l’intuition que « quelque chose ici va venir » — en prenant notamment à la lettre la boutade « pas de pétrole bien sûr ».
Avec cette idée que ce qui va venir ici, aux Arques, et qui commence à venir ici et là, dans les campagnes, dans les territoires ruraux, ce sont des tentatives de sortie de la société thermo-industrielle, des façons d’expérimenter un autre mode de vie que celui de l’extractivisme et de la croissance, de la consommation et du développement, en prenant la pleine mesure de ce qui est déjà là et dont nous avons perdu la conscience : que la terre où nous vivons est la terre dont nous vivons. Que le lieu est la ressource.
Ce que nous dit Zadkine, c’est qu’il y aurait, d’un côté, quelque chose qui serait meurtri, qui serait parti ; et de l’autre, persistante, étayée sur un fort potentiel de ressources, la sensation que quelque chose de vif est à venir.
Ce mouvement, de balancement ou de tension, est plus généralement celui des territoires ruraux, qui connaissent à la fois des dynamiques de déprise et d’exode toujours à l’œuvre, et une nouvelle attractivité que la crise sanitaire a accentuée et qui s’accompagne d’expérimentations de plus en plus nombreuses.
Cette attractivité repose sur une réalité. Il y a aux Arques et dans les territoires ruraux des matériaux, des savoirs faire, des filières, des réseaux, des outils qui gagnent à être activés ou réactivés, non pas dans une logique de fermeture sur le local, de repli sur soi, mais au contraire d’expression d’un potentiel, de fertilisation et d’ouverture d’un territoire.
La résidence s’attachera ainsi à révéler le potentiel du lieu, c’est-à-dire le potentiel de la ressource, et plus précisément de la diversité des ressources ; à inventer une approche inclusive, généreuse, susceptible de composer avec les formes de vie aussi bien que les formes non-vivantes — infrastructures, matériaux — qui font l’originalité du territoire, et de faire trace.
Parce que la ressource est plurielle, le groupe des 5 résident·es invité·es l’est aussi. Ne se limitant pas au seul champ de l’art contemporain, il intègre la pratique du design, et plus largement les arts du faire et de la parole, du poème et du récit — pour esquisser de nouvelles façons de résider, c’est-à-dire d’habiter le monde.