Le territoire n’est pas une donnée : il résulte de divers processus. D’une part, il se modifie spontanément : l’avancée ou le recul des forêts et des glaciers, l’extension ou l’assèchement des marécages, le comblement des lacs et la formation des deltas, l’érosion des plages et des falaises, l’apparition de cordons littoraux et de lagunes, les affaissements de vallées, les glissements de terrain, le surgissement ou le refroidissement de volcans, les tremblements de terre, tout témoigne d’une instabilité de la morphologie terrestre. De l’autre, il subit les interventions humaines : irrigation, construction de routes, de ponts, de digues, érection de barrages hydroélectriques, creusement de canaux, percement de tunnels, terrassements, défrichement, reboisement, amélioration des terres, et les actes mêmes les plus quotidiens de l’agriculture, font du territoire un espace sans cesse remodelé. Les déterminismes qui le transforment suivant leur propre logique (c’est-à-dire ceux qui relèvent de la géologie et de la météorologie) s’assimilent à des initiatives naturelles tandis que les actes de volonté qui visent à le modifier sont en outre capables de corriger en partie les conséquences de son activité. Mais la plupart des mouvements qui le travaillent — ainsi, les modifications climatiques — s’étalent sur un laps de temps tel qu’ils échappent à l’observation de l’individu, voire d’une génération, d’où le caractère d’immutabilité que connote ordinairement « la nature ». […] Mais il ne suffit pas d’affirmer, comme l’énumération de ces opérations le montre, que le territoire résulte d’un ensemble de processus plus ou moins coordonnés. Il ne se découpe pas seulement en un certain nombre de phénomènes dynamiques de type géoclimatique. Dès qu’une population l’occupe (que ce soit à travers un rapport léger, comme la cueillette, ou lourd, comme l’extraction minière), elle établit avec lui une relation qui relève de l’aménagement, voire de la planification, et l’on peut observer les effets réciproques de cette coexistence. En d’autres termes, le territoire fait l’objet d’une construction. C’est une sorte d’artefact. Dès lors, il constitue également un produit.